La pomme « Petit-Louis »

Une belle pomme rentre au Val de Villé après 75 ans d’exil

 

C’est l’automne, il fait frisquet. Rien d’autre à signaler ce lundi matin 17 novembre 2014 à Saint-Pierre-Bois, petit village du Val de Villé, près de Sélestat. Sauf que le maire, Alain Meyer, tient dans ses mains un drôle de colis reçu par la poste. Un colis d’une certaine taille, bricolé-main, l’adresse écrite à l’ancienne.

Il ouvre, intrigué, et deux magnifiques pommes jaunes apparaissent, avec une lettre à monsieur le Maire. Le tout vient d’un certain Louis Petit, de Gaillon-sur-Montcient dans les Yvelines, à l’ouest de Paris, et c’est un vrai roman.

Il s’agit bien sûr de ces pommes jaunes. Louis Petit aimerait savoir s’il y en a toujours à Saint-Pierre-Bois, car c’est bien d’ici qu’elles sont originaires : son père Félicien Petit les a rapportées chez lui en… 1940 ! Pas ces deux-là, tout de même, mais leurs ancêtres.

En 1939-1940, Félicien Petit était clairon au 418e régiment d’infanterie, cantonné à Saint-Pierre-Bois pour garder des munitions du côté du Bernstein. Il était logé chez l’habitant et s’y plaisait bien. Ces gens avaient des fruits au verger, notamment les fameuses belles et grosses pommes jaunes. Félicien les aimait tant qu’il en ramena des greffons chez lui en janvier 40. La greffe réussit, et c’est ainsi que toute sa vie, après plusieurs greffages successifs, Louis Petit mangea de ces « pommes d’Alsace », comme les appelait son père. Celui-ci racontait aussi que les jeunes filles de sa famille d’accueil lui tricotaient des cocardes pour son clairon.

Mais qui était cette aimable famille ? Monsieur le Maire se gratte la tête : comment résoudre cette énigme pour le moins inattendue ?

Heureusement le Val de Villé, pays de vergers, compte de nombreux passionnés de pommes et de pommiers. Le maire s’adresse donc à l’association des Arboriculteurs et Bouilleurs de cru. Son président, Jean-Claude Naas, prend l’affaire en main. Sans attendre que les deux précieux spécimens s’abîment, il va les présenter à ses collègues pomologues des Croqueurs de Pommes de Ribeauvillé. Cette célèbre association de fins connaisseurs se bat depuis longtemps pour préserver les variétés anciennes et redonner vie aux vergers familiaux. L’objectif est de maintenir une indispensable diversité variétale. Toutefois les mystérieuses pommes jaunes envoyées par Louis Petit sont inconnues au bataillon, il va falloir une étude poussée pour identifier la variété.

En revanche, pour la famille d’accueil, pas besoin de la police. Tout le monde se connaît, par ici, et on remonte vite à la famille Reibel. Félicien Petit était logé chez les parents de Paul Reibel, lequel avait deux sœurs, Blandine et Annette : les voilà, les tricoteuses de cocardes ! Annette, devenue l’épouse de Fernand Huber, vit toujours à Saint-Pierre-Bois. Elle avait 8 ans à l’époque mais se souvient du pommier où Félicien coupa ses fameux greffons, sur la colline du Scheibenberg : « Cet arbre penchait déjà, il n’existe plus aujourd’hui. C’étaient de bonnes pommes, on en faisait aussi des tartes et de la compote ».

Jean-Claude Naas, le président des « arbo », comme on les appelle ici, poursuit son enquête pomologique. Il téléphone à Louis Petit, qui raconte dans sa lettre avoir « sauvé la variété in extremis il y a 25 ans avec un greffon pris sur l’arbre greffé par mon père », et le prie d’envoyer des greffons. Ceux-ci arrivent, mais tout secs, inutilisables ! Il lui en redemande, mieux emballés, et peut enfin les mettre en jauge en attendant le printemps. Jean-Claude Naas n’a qu’une hâte, faire revivre au Val de Villé cette « pomme d’Alsace », évidemment rebaptisée la petit-louis ! Après 75 ans d’absence, ça serait un événement. Il la mesure et la photographie sous toutes les coutures. Et il distribue les greffons à ses collègues « arbo », sans oublier les « Apfelbisser » (Croqueurs de Pommes) de Ribeauvillé. Une dizaine de pommiers sont désormais potentiellement relanceurs de la petit-louis.

« La petit-louis, explique-t-il, est une pomme jaune impressionnante, qui pèse 300 à 400 g, plus longue que large, avec un gros pédoncule très court. L’œil, à l’opposé, est très ouvert et laisse presque voir l’intérieur. La variété d’une pomme n’est pas toujours facile à établir, poursuit Jean-Claude Naas. Il en existe 11 000 de par le monde (le pommier s’appelle malus en latin), avec de nombreuses variantes locales, sans compter les croisements. On en découvre encore de nouvelles, qui sont le plus souvent des anciennes… Celles-ci sont beaucoup plus résistantes aux maladies et ont bien meilleur goût que les « nouvelles », à savoir les quelques-unes qui sont cultivées industriellement à grand renfort de traitements. »

Alors, la petit-louis a-t-elle un avenir ? « Oui, assure Jean-Claude Naas, les greffes de ce printemps sont prometteuses ! La greffe est la seule façon de perpétuer une variété à l’identique. Avec les pépins, c’est trop aléatoire, la plante obtenue pourra être légèrement différente. Cette pomme, j’y tiens, c’est un patrimoine local qui nous revient d’une façon inespérée ! »

Eh oui, une belle histoire, cette pomme disparue qui va renaître sur ses terres. Elle figurera en bonne place au catalogue déjà riche des pommes du Val de Villé. Avec sa taille imposante, sa qualité gustative, son aptitude à la conservation, elle a tout pour plaire. Et dites, mesdames, côté cuisine, il suffit d’une ou deux petit-louis pour faire une tarte : qui dit mieux ? D’ici quelques années, on va s’arracher les greffons auprès des Arboriculteurs… Alors, longue vie à la p’tit-louis, et grand merci à Louis Petit !

Jean-Luc Michel, octobre 2015

Sources : article des DNA du 24 février 2015 par Aurore Bac,
documentation Jean-Claude Naas, correspondance Louis Petit.